Genres musicaux

mis à jour le Jeudi 10 novembre 2016 à 17h35

par Kendal NEZAN
Président de l'Institut kurde de Paris

Les chants épiques étant donné la place très importante qu'occupe la guerre dans la vie des Kurdes, sont très nombreux dans la musique populaire, et présentent eux-aussi le clivage montagne-plaine, clivage qu'on retrouve déjà dans la dénomination de ces chants: appelés delal (beaux) par les habitants de la plaine, ils reçoivent le nom de Lawikên Siwaran (chants de cavaliers) chez les montagnards.

Le delal, dont la ligne mélodique traditionnelle a fourni à la musique savante procheorientale le maqam kurdî hicazkâr (équivalent du dorien des Grecs), s'accompagne souvent du tenbûr et parfois-c'est une innovation relativement récente - du jeu de tenbûr et de dûdûk. Les chants de cavaliers ont une ligne mélodique beaucoup moins régulière. Les rythmes, plus saccadés et vifs que ceux du delal, épousent fidèlement le contenu du récit, évoquant aux moments forts de ce dernier la violence des scènes de combat.

Improvisés soit par des dengbêj, combattants eux-mêmes, soit par des femmes soucieuses d'immortaliser les hauts faits de l'évènement venant de se produire pour l'édification des générations futures, les chants épiques et guerriers constituent de véritables chroniques historiques où à peu près tous les évènements de la vie locale et nationale se trouvent consignés.

C'est à travers ces chants que les enfants kurdes apprennent l'histoire de leur peuple, tout au moins celle des deux derniers siècles. La plupart glorifient ceux qui se sont courageusement battus pour la liberté. Cela dit, il existe aussi des chants relatant les querelles intestines pour la possession des meilleurs pâturages ou pour le partage des eaux d'irrigation, quand ce n'est pas pour la défense de l'honneur familial ou tribal.

En dehors de leur intérêt informatif sur les événements du passé, ces chants ont aussi le mérite de nous éclairer, sans doute plus que ceux de tout autre genre, sur les mentalités, les moeurs, les valeurs et les archétypes de diverses couches de la société kurde d'hier et d'aujourd' hui, par la morale qui demeure en permanence sous-jacente au récit.

Le héros est celui (ou celle) qui sait se faire respecter, qui n'a jamais froid aux yeux, qui se bat avec vaillance et n'abandonne jamais le champ de bataille. Guerrier exceptionnel, -il doit, seul ou aidé d'une poignée de compagnons, mettre en déroute des régiments entiers de l'armée adverse-le héros est également vertueux, magnanime avec les faibles et les vaincus, capable de résister à la douleur, soucieux de se conformer scrupuleusement à un certain code de l'honneur.

Entre Jazireh et Mahabad, il existe une musique qu'on pourrait qualifier de funéraire. Son usage demeure limité; ses airs tristes, joués au def-û-zirne blûr, ou dûdûk-û-erbane sont réservés exclusivement aux funérailles des jeunes filles et des jeunes gens morts célibataires. Des lawij, longs poèmes parfois d'inspiration religieuse, sont chantés à cette occasion. Mais l'on chante aussi ces lawij, empreints de nostalgie et de mélancolie, en d'autres circonstances, par exemple au cours des soirées intimes réunissant de proches amis.

Les Berdolavî ou " chansons de devant le rouet " (chansons de toile), que les jeunes filles et les femmes fredonnent tout en filant leur étoupe ou en tissant leurs tapis, sont, elles aussi, pleines de tristesse et de mélancolie. Chants d'amour, intimes, malheureux, ils sont généralement courts et se passent de tout accompagnement instrumental.

Kulamên dilan (Chants d'amour) : composés la plupart du temps par des femmes, ces chants, généralement assez courts, sont d'une facture simple et entièrement libre. L'élan lyrique n'est soumis à aucune contrainte d'harmonie, de métrique, ni même de rime.

La chanson kurde évoque l'amour malheureux, l'amour contrarié par des contraintes qui sont légions dans la société partriarcale. La quantité et la rigidité de ces contraintes pourraient expliquer, dans une certaine mesure, l'existence d'une masse aussi considérable de chants d'amour.

Il est fréquent qu'un chant d'amour soit à l'origine un simple dialogue improvisé et chanté lors d'une rencontre furtive entre le jeune homme et la jeune fille. Un simple regard, un sourire à peine esquissé de la jeune fille rencontrée près de la source, sur un sentier de montagne ou sur un chemin de campagne, et c'est le début d'une longue épreuve faite de souffrance, de sacrifices et de dévouement qui se reflète dans ces chants attachants, appels pressants et nostalgiques adressés par delà monts et vaux à celui qu'on aime.

Les dilok ou chansons de danse et de divertissement qu'on chante au cours des soirées amicales ou lors des festivités diverses (noces, nouvel an, naissance, circoncision, etc.) s'accompagnent suivant les régions du jeu de blûr-dembilk, de def-û-zirne ou de tenbûrdembilk, ou plus simplement du claquement des mains ou de tenbûr.

Les danses kurdes sont habituellement mixtes. Suivant la danse (dîlan), danseurs et danseuses se tiennent par l'auriculaire ou par la main, ou encore posent la main sur l'épaule du voisin ou de la voisine. Le rythme contenu dans le dilok que chante le meneur et que les autres reprennent à sa suite, est martelé de plus par la percussion (def, dembilk). Toutes les parties du corps participent en principe à la danse: en fait, seuls les pieds et le buste exécutent des mouvements précis et rythmés.

La danse kurde présente bien des variétés, désignées soit d'après le nom de la région d'où elles sont originaires (Botanî, Derikî, Amûdî, etc.), soit encore d'après la forme des mouvements à exécuter. La danse la plus répandue est Govend, ronde où hommes et femmes, se tenant bras-dessus, bras-dessous, exécutent des petits pas assez compliqués, des balancements fortement scandés, des chassé-croisés. Il en existe de multiples variantes dont sêgavî ou sêpêyi (trois pas), çarpêyi (quatre pas), giranî (ronde lente), xirfanî (ronde langoureuse), tesiyok appelée encore milane où les partenaires dansent épaule contre épaule.

La danse çopî, également très répandue, s'accompagne de sautillements. La farandole de danseurs s'avance ou recule, en oscillant de côté et d'autres.

Parmi les rares danses non mixtes, notons la danse du sabre (dîlana sûr û mertal) qui est une suite d'exercices d'agilité et d'adresse. Cette danse masculine, naguère fréquente et appréciée, tend à disparaitre. Il en va de même pour la cirît, autre danse guerrière qui est en fait une simulation du combat à dos de cheval marquant l'un des moments importants des festivités de mariage.

Les feqeh (étudiants en théologie), qui constituent une couche se voulant distincte de la masse "païenne" du peuple, ont une danse particulière appelée bêlûté - probablement à l'origine d'inspiration religieuse.

Enfin mentionnons pour mémoire quelques danses populaires parmi les plus pratiquées actuellement au Kurdistan: bêriyo (la laitière), tenzere, sêxani,, çaçanê siltanê, çepik, etc. Le répertoire moderne de la chanson politique se nourrit des poèmes des auteurs classiques dont Feqehê Teyran, poète du XVIe siècle, et Ehmedê Xanî, du XVIIe siècle, auteur de Mem û Zin, épopée nationale kurde, ainsi que des oeuvres des poètes contemporains (Cegerxwîn, Hejar, Bêkes, etc.). La chanson politique, qui est en fait de la poésie non-anonyme chantée, s'accompagne du tenbûr.