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Syrie: les forces kurdes s'engagent à revenir en force à Afrine


Lundi 19 mars 2018 à 16h43

Beyrouth, 19 mars 2018 (AFP) — Les forces kurdes se sont forgées une réputation de combattants aguerris face aux jihadistes en Syrie mais face à la puissance de feu turque, elles n'ont eu d'autres choix que de se retirer d'Afrine, un de leurs bastions.

L'armée d'Ankara et des supplétifs syriens ont hissé dimanche le drapeau turc dans cette ville du nord-ouest de la Syrie.

Depuis deux mois, ils mènent une offensive pour chasser les Unités de protection du peuple (YPG) de la région d'Afrine, que contrôlait cette milice kurde, considérée par la Turquie comme un groupe "terroriste".

Mais face au pilonnage quotidien d'Ankara, "il n'y a pas eu d'autres possibilités que le repli tactique", explique Abdel Salam Ahmad, un haut responsable de l'administration semi-autonome kurde mise en place dans le nord de la Syrie.

"Il y avait un déséquilibre entre les forces", dit-il.

Du côté des forces turques, "le recours à l'artillerie lourde et à l'aviation"et, du côté kurde, "des combattants munis d'armes légères, surveillés à l'aide des technologies les plus modernes, assiégés dans un espace géographique étroit".

"La bataille d'Afrine a été gagnée par la puissance militaire turque", résume Nicholas Heras, analyste au centre de réflexion Center for a New American Security.

Plus de 1.500 combattants kurdes ont été tués durant l'offensive, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), contre 400 rebelles alliés à la Turquie. Ankara a fait état de 46 soldats tués dans ses rangs.

-'Guerre existentielle'-

Le gros des forces kurdes s'est replié vers des secteurs au sud de la ville, près de territoires tenus par le régime de Bachar al-Assad, selon l'OSDH.

"Quand la Turquie et ses (supplétifs) sont arrivés à la périphérie d'Afrine, nous avons vu le poids que représentaient les bombardements intensifs pour les civils", assure un porte-parole des YPG, Birusk Hasakeh.

"Nous avons décidé qu'il était urgent de faire sortir les habitants et de redéployer nos combattants", poursuit-il, alors que les violences ont poussé à l'exil quelque 250.000 civils.

"Nous allons utiliser tous les moyens contre l'ennemi. A partir d'aujourd'hui, nous mènerons des attaques dans tout Afrine", promet M. Hasakeh. "C'est une guerre existentielle".

L'administration locale kurde de la région d'Afrine, évincée, a promis que ses combattants deviendraient un "cauchemar permanent" pour l'armée turque et les combattants syriens alliés.

Dimanche, six combattants syriens pro-Ankara ont d'ailleurs été tués dans un tir de roquette des forces kurdes dans le secteur de Rajo, à la frontière avec la Turquie, selon l'OSDH.

D'après Aaron Stein, analyste à l'Atlantic Council, la perte d'Afrine par les forces kurdes "vient certainement écorner leur image de grands combattants devant le monde", elles qui se sont particulièrement distinguées dans la lutte contre les jihadistes du groupe Etat islamique (EI), avec le soutien de Washington et des Occidentaux.

- 'Histoire tragique' -

La perte d'Afrine vient en outre ébranler le rêve d'autonomie des Kurdes de Syrie, estimés à 15% de la population et opprimés pendant des décennies sous le régime du clan Assad.

La communauté avait profité de la guerre qui ravage la Syrie depuis 2011 pour établir une autonomie de facto dans les territoires sous son contrôle, dans le nord et le nord-est du pays.

Et la région d'Afrine a été le laboratoire de cette émancipation: c'est le premier secteur où les Kurdes de Syrie ont installé en 2012 une administration semi-autonome, avec l'introduction à l'école de leur langue, longtemps bannie, et la création de leurs propres forces de sécurité.

Plusieurs fois, le président turc Recep Tayyip Erdogan a promis de diriger ses troupes vers d'autres territoires kurdes dans le nord syrien, notamment Minbej, où sont stationnées des troupes américaines.

"Toutes les autres régions kurdes sont maintenant menacées, à commencer par Minbej", assure Mutlu Civiroglu, spécialiste de la question kurde.

Selon M. Ahmad, "un assaut à Minbej dépend d'un feu vert des Etats-Unis". Or, "il n'y a eu pour le moment aucune déclaration de Washington signalant qu'ils allaient abandonner leurs alliés", dit ce responsable kurde.

Mais "l'histoire kurde est tragique", constate l'analyste Aaron Stein, pour qui cette communauté peut lire dans l'épisode d'Afrine une confirmation d'un de ses plus célèbres proverbes: "les Kurdes n'ont d'amis que les montagnes".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.