Bachar al-Assad aux abois après vingt ans de pouvoir

mis à jour le Mardi 9 juin 2020 à 17h00

liberation.fr | Par Luc Mathieu et Hala Kodmani | 09/06/2020

Sanctions internationales, crise économique, dissensions au sein  du clan à la tête du pays, critiques de Moscou et Téhéran, manifestations populaires… Le régime syrien voit s’accumuler les calamités.

Un chiffre échangé entre les Syriens sur les réseaux sociaux depuis 24 heures monte comme dans une vente aux enchères : 1 800, 2 400, 3 000, 3 500, 3 800… il s’agit du taux de change du dollar par rapport à la livre syrienne au lendemain de l’entrée en vigueur de nouvelles sanctions américaines contre le régime de Damas. Votée par le Congrès à la fin de l’année dernière, la «loi César» (Caesar Act) - du pseudonyme du lanceur d’alerte qui a pris en photo les dizaines de milliers de morts sous la torture dans les prisons syriennes -, a été dénoncée comme du «terrorisme économique» par les médias officiels. Elle vient resserrer encore la corde autour du cou d’une économie syrienne en souffrance. Une catastrophe mais pas la seule à laquelle doit faire face le régime de Bachar al-Assad qui cumule les déconvenues. Loin de pouvoir savourer sa victoire militaire et politique, il voit s’accumuler les calamités qui l’empêchent de gagner la paix.

Alors que cette semaine marque le 20e anniversaire de son arrivée à la présidence de la République, succédant à son père, Bachar al-Assad ne peut donc pas célébrer son bilan. Après neuf ans d’une guerre dévastatrice pour son pays, il est confronté aujourd’hui à un déchirement inédit au sein de son clan qui règne sur la Syrie depuis 1970. La brouille révélée au grand jour par son cousin germain Rami Makhlouf, le requin des affaires en Syrie depuis vingt ans, divise la famille et surtout leur communauté alaouite, qui a sacrifié des dizaines de milliers de ses fils au combat pour la survie du régime. Elle a confirmé aux yeux des Syriens la corruption et les détournements des ressources du pays par l’entourage du pouvoir.

L’Iran et la Russie prennent leurs distances

Un autre sujet de préoccupation pour le régime, et pas des moindres, est le mécontentement manifesté par les deux alliés auxquels il doit sa survie : l’Iran et la Russie. «Nous avons peut-être donné à la Syrie de 20 à 30 milliards de dollars, et il faut les reprendre», a déclaré un député iranien membre de la commission de la sécurité nationale et des affaires étrangères du Majlis (le Parlement), dans une interview publiée le 20 mai sur le site officiel Etemad Online. Un rappel inédit, alors que l’Iran prend ses distances, concentré sur ses problèmes sanitaires et économiques intérieurs. Dans le même temps, en Russie, une série d’articles publiés dans la presse proche du Kremlin ont dénoncé la corruption et l’incompétence du pouvoir à Damas.

Après neuf ans de guerre, le régime de Bachar al-Assad n’a pas repris l’intégralité du territoire syrien. Deux zones principales lui échappent : le nord-est, géré par une administration kurde, et la province d’Idlib (nord-ouest). Il reste présent dans la première région, notamment à Hassaké et Qamishli, où l’aéroport est sous sa garde. Mais la zone, contrôlée par le Parti de l’union démocratique (PYD), lié au PKK actif en Turquie, continue à revendiquer son autonomie et cherche un accord avec Damas. Des soldats américains sont toujours déployés dans les zones pétrolifères.

La moitié de la province d’Idlib échappe, elle, à tout contrôle. La reconquérir est un objectif prioritaire de Damas, qui a lancé une offensive en décembre, avec l’appui de la Russie, mais pas celui de l’Iran, pour qui la région n’est pas prioritaire. Les bombardements des aviations syrienne et russe ont déclenché une catastrophe humanitaire. Environ un million de civils ont fui vers le nord de la province, limitrophe de la Turquie, mais déjà saturée de camps de déplacés. Le pouvoir turc a réagi en envoyant en Syrie des renforts de soldats et de blindés. En mars, Moscou et Ankara ont fini par signer un cessez-le-feu. Des patrouilles militaires conjointes entre leurs deux armées ont été mises en place le long de l’autoroute M4, qui relie la capitale, à Alep, au nord.

Les combats et les frappes aériennes ont depuis largement cessé, même si la Russie a mené des raids début juin, pour la première fois depuis trois mois. Ils visaient à empêcher des groupes armés de s’approcher de l’autoroute. L’actuel statu quo a relancé les manifestations de la population. Dimanche, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées dans la ville d’Idlib avec des slogans hostiles à la fois au régime de Bachar al-Assad mais aussi contre Abou Mohammed al-Joulani, le chef du groupe jihadiste Hayat Tahrir al-Sham, qui domine la province.

Des groupes armés ont réapparu

Les protestations couvent aussi dans des régions contrôlées par le régime. C’est le cas dans l’enclave druze de Sweida, où elles s’organisent en réaction à l’effondrement économique. Mais également à Deraa, d’où la contestation était partie en 2011. La région a été décrite comme «pacifiée» via «un accord de réconciliation», mis en œuvre par la Russie en 2018. Mais des groupes armés ont réapparu et lancent des attaques de faible envergure contre les forces progouvernementales. «Cette instabilité permanente est un défi pour la Russie. Le sud syrien voit déjà les signes d’une insurrection qui couve, note un rapport du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) publié en mai. Les forces prorégime vont probablement aussi devoir faire face à ce type d’instabilité dans le nord-est, où la population arabe sunnite qui s’était rebellée contre le régime d’Al-Assad ne va pas accepter son retour.»